
Chapitre 1. Megève
La pendule émet un tic-tac régulier, marquant chaque seconde d'une époque qui s'est arrêtée il y a si longtemps ! Dans ce chalet cossus,tout est figé, tout est endormi, aucune vie, aucun souffle ne l’habite. Pourtant, elle, droite comme un I, la tête haute, est bien là ! La vieille dame au foulard rouge et bleu orné de fleurs de Lys dorées de chez Yves Saint-Laurent, les cheveux blancs tirés en chignon, porte avec élégance son tailleur en tweed de chez Chanel. Elle passe la plus grande partie de sa journée à regarder par la fenêtre la vie s’agiter dans les rues enneigées du village montagnard huppé. Ils vont et viennent les passants, pressés par la préparation des festivités de fin d’année. Qui est cette grande dame sans âge, silencieuse, dans ce vieux chalet pour qui le temps s’est arrêté malgré le tic-tac infatigable de la pendule ancienne ? Le soleil inonde le séjour au mobilier Louis XVI joliment agencé sur un parquet en bois d’acajou. La banquette trois places Louis XV aux pieds de bois précieux, recouverte de lin blanc, égaye la pièce impeccablement propre. Le regard figé, la pensée perdue au-delà des cimes des hauts sommets de la chaîne majestueuse du Mont-Blanc, elle attend derrière la fenêtre de sa vie passée. Soudain, elle s’éveille. Son battement de cœur s’accélère comme une jeune première. Elle le voit arriver d’un pas décidé comme s’il avait vingt ans lui aussi ! Elle hésite, va-t-elle lui ouvrir ? Après tout, elle n’y est pas obligée. Elle pourra toujours lui dire qu’elle était souffrante ! - Mon Dieu, il n’a pas changé. Toujours aussi élégant ! pense-t-elle légèrement tremblante d’émotion. À présent, elle entend ses pas feutrés dans l’escalier. Elle regarde encore une fois par la fenêtre comme pour trouver une échappatoire. Il frappe à la porte. Trois coups discrets comme avant. Est-ce par habitude ou pour lui signifier que c’est bien lui ? Armance jette un coup d’œil au miroir de l’entrée, remet sa fine mèche derrière son oreille, respire profondément et ouvre. - Tu es finalement venu ! lui dit-elle sans même le saluer. Oui, ma chère ! Avais-tu espoir que je ne vienne pas ? - En quelque sorte, oui ! Je n’ai pas spécialement envie de me replonger dans cette histoire ! - J’en suis conscient figure-toi ! Mais tu sais très bien qu’il le faut ! répond-il en entrant dans le séjour illuminé par la belle et grande fenêtre à carreaux et sans attendre qu’elle ne l’y invite ! Armance redoutait ce jour où il reviendrait. Elle avait espéré ne jamais le revoir ! Ne jamais plus ressentir cette douce douleur lancinante qui ne l’avait pas quittée pendant des années... Son cœur n’en supporterait pas les conséquences ! Cependant, il était là. Bien là ! Veux-tu une tasse de thé ? demande-t-elle à mi-voix. Oui si tu as du thé russe, comme au bon vieux temps ! Armance ne relève pas la dernière phrase et va faire chauffer la bouilloire. Léopold s’installe sur le sofa trois places et observe la pièce. Le silence alourdit le chalet, comme s’il était enveloppé d’une lourde et étouffante couverture. Armance revient avec les deux tasses de thé noir russe et des petits friands aux amandes qu’elle a achetés à la pâtisserie réputée « Durand & Fils ». Elle installe le tout sur la petite table basse et s’assoit sur le fauteuil face à lui. Ils se regardent un instant sans rien dire, ne sachant pas comment commencer la conversation. Prends-tu toujours du sucre roux ? finit-elle par dire. Non, je n’ai plus droit au sucre ! lui répond-il en esquissant un léger rictus. Affrontant sa propre crainte, Armance le regarde droit dans les yeux : - Alors, dis-moi, me l’as-tu rapporté ? - Oui, bien sûr. Léopold sort de la poche de sa veste en tweed un petit écrin en velours grenat et le lui tend. Armance, les mains tremblantes, prend l’écrin et l’ouvre. L’émotion l’envahissant, elle ne peut s’empêcher de verser une larme. Est-ce une larme de joie ? Ou de regret ? Les deux sûrement...

« Le bal des morts
Conduit par les fées
S’entend de loin
Quand il bat son plein
Macabres danses
Tout est en transe
Tourne et batifole
Tout ce beau monde »
Chapitre 1
Un épais brouillard flottait dans les rues. Lauren avait été appelée très tôt au petit matin.
Elle avançait d’un pas sûr et énergique, son café fumant à la main, bien décidée à élucider cette affaire. Elle s’arrêta devant cette maison de ville plutôt chic et lugubre à la fois, visiblement délabrée, hésita un petit instant et monta l’escalier spacieux où elle remarqua sur le sol quelques petites gouttes de sang éparses. Elle s’arrêta devant cette maison de ville plutôt chic et lugubre à la fois, visiblement délabrée, hésita un petit instant et monta l’escalier spacieux où elle remarqua sur le sol quelques petites gouttes de sang éparses.
A l’odeur nauséabonde, elle sortit son mouchoir, le plaça devant son nez, cette odeur âcre de la mort, lui était pourtant bien familière. Ce n’était pas son premier cadavre mais là, elle sentit un léger serrement au niveau de sa gorge. Elle se ressaisit et commença à observer comme à son habitude autour d’elle: la commode , le bureau, la coiffeuse et le lit où reposait Lucie Faplin. Son visage cyanosé, elle paraissait à la fois sereine et terrifiée, une petite coulée de sang glissait le long de sa tempe droite, sa main gauche était refermée tenant les draps de soie vieux rose, sa main droite pendait hors du lit, un calibre Remington Magnum 7 mm réputé pour être un des plus silencieux gisait parterre. Elle était habillée d’une belle robe blanche avec de la dentelle . Lauren ouvrit la fenêtre, le légiste arriva, salua Lauren d’un geste de la main et se dirigea vers Lucie.
Quelques frissons la parcoururent.

Prologue
Lauren Green, perspicace et impatiente jeune femme, capitaine de police à la direction régionale de la police judiciaire de Paris est connue pour élucider des enquêtes souvent étranges. Lors d’ une précédente investigation , qu’ils avaient dénommé « Le Bal Des Morts », Lauren rencontra un lieutenant de police anglais du nom de Sith Thomson, qui depuis est devenu son petit ami. Quelques mois sont passés et les enquêtes se sont enchainées
Cependant il y a deux semaines, une nouvelle affaire l’a conduite dans un monde où l’éthique humaine a été bafouée bien au-delà de ce que l’on peut s’imaginer !
Chapitre 1
Paris deux semaines auparavant
Un cadavre sans tête a été découvert par une vieille dame choquée d’une telle trouvaille, gisant en bas de son immeuble à côté des poubelles. Il portait une étiquette sur le col de sa chemise :
« Affaire à suivre…»
Deux yeux en verre ont été placés dans la poche avant de son blouson.
Durant n’avait pas réfléchi bien longtemps avant de faire appel à Lauren. Elle était vraiment douée pour élucider les affaires les plus énigmatiques ! Sith, lui, fut chargé d’une sombre affaire d’espionnage informatique qui l’ennuyait à mourir ! Suite au succès de la précédente enquête, ils avaient été promus au grade de capitaine. Durant, au grade de commandant.
« Affaire à suivre ! »
– Que peut bien vouloir dire cette phrase ? se demanda Lauren, intriguée.
– Allez c’est reparti ! sourit-elle en regardant Sith amoureusement.
– Yes my Sweety… celui ou celle qui fait cela est vraiment un tordu de première ! Dans quel monde vit-on !
– Oui, ce n’est rien de le dire ! Et ces deux yeux en verre, beurk ! Crois-tu que c’est pour ne pas voir la vérité ou la cacher ?
– Oui tout à fait plausible… toujours aussi perspicace my Sweety, attends qu’on soit à la maison et tu m’expliqueras tout ça en détail !
Lauren rit, elle qui avait collectionné les timbrés et les mecs de passage, avait enfin trouvé l’amour avec un grand A !
Lauren et Sith rentrèrent à la PJ, pensifs et perplexes. Derrière eux à une centaine de mètres, une ombre les suivait.
Le temps était si agréable et chaud en cette fin d’hiver qu’on se serait cru au début de l’été ! Sith regarda sa compagne marcher à ses côtés ; qu’elle était belle dans sa robe en petite laine noire et son perfecto ! Il était le plus heureux des hommes. Il ne regrettait pas d’avoir quitté son Angleterre chérie pour venir vivre à ses côtés.
Lauren et Sith étaient impatients d’avoir le rapport préliminaire du légiste. Sith proposa d’aller boire un café histoire de souffler deux minutes. Lauren accepta avec plaisir, mais au bout de cinq minutes, ne voulant pas perdre de temps, elle se leva et entraîna Sith de force en le tirant par le bras, ce qui le fit beaucoup rire !
– Allez ! On y va Sith ! Je ne veux pas perdre une minute !
– Ok Sweety, on y go de suite ! Mais embrasse-moi d’abord !
Lauren l’embrassa tendrement, Sith resta assis les yeux fermés un sourire béat sur ses lèvres.
– Allez mi amor ! Peux-tu voir s’il te plait d’où viennent ces deux yeux en verre ?
Sith se leva d’un coup comme un soldat. Lauren rit.
– A vos ordres mon capitaine ! Bonne idée, je m’en occupe de suite ! lui répondit Sith avec un clin d’œil.
Lauren leva les yeux au ciel et rit encore :
- Ah OK ; clin d’œil et œil de verre !
- Ah tu commences à suivre ! C’est bien Sweety !
Lauren retourna à son bureau gaie comme un pinson. Elle adorait les mauvaises blagues de son futur mari. Dans ces moments tragiques et sordides où la découverte d’un corps, en particulier celui-ci, n’était pas une partie de plaisir, Lauren appréciait ces petits moments de détente.
Quelques heures après le légiste Bertrand rapporta à Lauren les premiers résultats de l’autopsie :
- Alors, Lauren, vous allez être surprise, le corps sans tête de ce « monsieur » congelé est en fait celui d’une femme avec un semblant de sexe féminin et un sexe masculin peu développé, un hermaphrodite ! La poitrine, bien qu’à peine visible, est toujours existante. Les extrémités des doigts ont été brûlées à l’acide, ne permettant malheureusement pas de relever les empreintes. Cette personne devait avoir une trentaine d’années. J’ai fait faire une analyse de sang, histoire de voir s’il n’y a pas des substances chimiques suspectes. Bon sinon elle mesure 1 m 73 et pèse 58kg. L’heure du début de la décongélation remonte à environ six heures.
- Bien, c’est surprenant ! Sûrement un futur transgenre… Nous étions sur place à sept heures, elle a été placée vers une heure du matin. Il est (ou est-il) possible que le meurtre ait été commis en sortie de bar ou de boîte ? Y a-t-il eu un quelconque abus sexuel ?
- Non, rien de ce côté-là.
- Bien ! Envoyez-moi le rapport complet dès que vous l’aurez et tenez-moi au courant quand vous aurez les résultats de ces substances, ça m’aidera certainement !
- Avec plaisir, Lauren, répondit-il, amusé de sa façon un peu directive. Il aimait beaucoup Lauren, elle était simple, aimable et toujours souriante.
Ce qui ne nous donnait pas l’identité de cette personne… Mais un début d’enquête intriguant.
En attendant les résultats complets de l’autopsie et des analyses, Lauren commença par chercher les transidentités répertoriées ainsi que les personnes qui avaient fait une demande de changement de prénom à l’état civil. Elle sollicita également les hôpitaux et les cliniques.
Elle interpella Sith qui passait dans le couloir :
– Sith ! Alors, sais-tu d’où proviennent les deux yeux en verres ?
- Justement je venais te voir ! Alors, my Sweety a priori, ils viennent d’une fabrique de jouets en banlieue. Ils m’ont confirmé que ces deux magnifiques yeux sont issus d’une très ancienne poupée nommée Caroline. Ils ont arrêté la fabrication en 1980.
– Bon OK ça marche, merci. Dis-moi, sais-tu s’ils en ont encore en stock ?
- J’ai demandé, Sweety ! Sith sourit devant l’impatience de Lauren.
- Et non, tout a été détruit, le verre a été considéré comme dangereux pour les enfants.
- Mince, ça ne m’avance pas beaucoup. On déjeune ensemble ?
- Bien sûr ! A « toute » my sweet darling ! Répondit Sith de sa voix suave qui faisait craquer Lauren à chaque fois.
Lauren se demandait pourquoi le tueur avait placé des yeux en verre dans sa poche ?
- Ou alors, est-ce quelqu’un d’autre qui les y aurait mis ?
Les réponses à ses demandes avaient été rapides. Elle reçut plusieurs listes de transgenres disparus et répertoriés. Elle commença à les éplucher une à une et à les comparer au listing des personnes transgenres et hermaphrodites non genrées portées disparues. Une en particulier l’intrigua (ou attira son attention). Il s’agissait d’une jeune adulte, disparue un an et demi auparavant et qui était enregistrée sur une liste d’attente d’une clinique privée dans la région parisienne. La photo du fichier montrait une femme à l’allure très masculine. Sa taille et son poids correspondaient au corps retrouvé.
– Elle pourrait concorder… Mais bon difficile à dire ! Pensa Lauren en marchant en direction des archives pour prendre le dossier :
Élodie Chauvet 35 ans
Célibataire
2 rue Nicolas Fortin Paris 13
Profession : second de cuisine restaurant le Lotus d’Asie.
Disparue depuis le 4 avril 2015.
1m73cm, 60 kg
Lauren feuilleta le dossier. Élodie était orpheline, elle avait peu d’amis et apparemment personne ne l’avait réclamée à l’exception de son supérieur le chef cuisinier Néron. Mis à part le fait que tous ses meubles et ses affaires étaient restés dans son appartement, l’affaire avait été classée au bout de quelques semaines faute d’éléments supplémentaires.
Lauren appela la brasserie, la restauratrice lui rapporta que le chef Néron avait été recruté par un grand établissement. Elle n’était pas très bavarde et Lauren ne put rien en tirer d’autre…
- Bon, ça ne m’avance pas ! Va falloir chercher dans quel restaurant ce Chef cuistot travaille !
Lauren chargea Sophie, sa nouvelle collègue, de trouver Néron. Sophie était la dernière recrue de Durant, Lauren l’avait prise sous son aile. De petite taille, Sophie dotée d’un corps aux angles ronds dégageait une sensualité attirante. Son regard noisette portait encore l’innocence de la jeunesse. Ses cheveux toujours remontés en chignon lui donnaient un air un peu vieille France qui tranchait avec ses tenues tirant vers le « punkie-rock », comme disait Lauren. Elle contrastait à côté de Lauren qui était très fine et élancée.
- Essaye de savoir où il travaille et quand tu l’auras trouvé, interroge-le s’il te plaît sur son ancien second, Élodie Chauvet.
- Bien Lauren, je m’y mets de suite !
Lauren regarda sur le Net et ouvra le site professionnel du docteur Serran, spécialiste des greffes. Elle appela la clinique :
– Bonjour, capitaine Green SRPJ, pourriez-vous me passer le docteur Serran s’il vous plaît ?
- Oui, ne quittez pas, je vous le passe.
- Bonjour docteur Serran, je vous appelle concernant une patiente qui figure sur votre liste d’attente pour une opération de réattribution sexuelle, elle s’appelle Élodie Chauvet.
- Oui, attendez voir, Élodie Chauvet, ce nom me dit quelque chose effectivement… Ne quittez pas, je regarde en même temps sur mon fichier patient. Ah voilà, Élodie Chauvet, 35 ans… Tiens d’ailleurs je vois qu’elle avait été contactée à plusieurs reprises l’an dernier, mais nous n’avons jamais eu de retour ! Peut-être avait-elle changé d’avis ? Je me souviens que cela m’a étonné, elle avait l’air si contente de se faire opérée !
- C‘est normal que vous n’ayez pas eu de retour, elle n’avait sûrement pas changé d’avis, du moins je suppose, elle est portée disparue depuis un an et demi.
- Eh bien, je n’étais pas au courant. C’est terrible ! Mais si vous m’appelez c’est que vous la cherchez toujours ou… ?
- Eh bien, je n’étais pas chargée de cette affaire, mais une autre enquête m’amène sur son chemin. Auriez-vous des renseignements qui seraient susceptibles de m’aider ? Vous l’avez vue combien de fois ? Et dans quel état psychologique vous semblait-elle ?
- Je me souviens surtout de sa détermination, bien qu’en principe ils ou elles le sont tous. Elle en particulier était vraiment décidée ! J’ai dû la voir trois fois. Attendez, je regarde, oui c’est ça trois fois. Nous les voyons en général une première fois pour expliquer l’opération, mais dans son cas je n’avais pas besoin de procéder à une phalloplastie, car Élodie était née avec les deux sexes, il me fallait juste rallonger son pénis par contre je devais procéder à une ablation de la poitrine et une hystérectomie.
- Une quoi ?
- Oui pardon, c’est une ablation totale de l’ utérus et du col. Puis nous demandons à nos patients de consulter notre psychologue et à la suite de ces consultations, et si la motivation est toujours aussi présente, je les revois une fois de plus pour la préparation et la programmation de l’opération ainsi que l’explication du traitement hormonal post opératoire. Comme je vous le disais, cette patiente était particulièrement motivée, je l’ai noté sur son dossier.
- Vous dites que vous deviez rallonger son pénis, n’était-il pas de taille… comment dire, « normale » ?
- Non, pas vraiment, il avait la taille de celui d’un enfant de 6-7 ans.
- Bien, je comprends. Avez-vous des photos ?
- Oui, ce sont des photos des parties génitales et de la poitrine.
- Pourriez-vous je vous prie me les envoyer, ça nous aiderait beaucoup. J’ai laissé mon mail à votre secrétaire.
- Bien capitaine, puis-je vous demander de m’appeler si vous la retrouvez ? J’aimais bien cette jeune personne.
- D’accord, je vous en informerai. Je vous remercie.
Pensive, Lauren raccrocha: Le docteur Serran,très aimable, avait l’air bien sympathique.
– Serait-ce une manière pour lui de me cacher la vérité ? se demanda-elle son crayon à la bouche. L’après-midi était bien avancée lorsque le légiste rappela Lauren.
- Du nouveau, Bertrand ?
- Oui, dans le sens où nous avons trouvé un ADN différent de celui de la victime sous son aisselle. Quelqu’un l’aurait transportée sans porter de gants. Pour l’instant d’après les scientifiques, aucun des deux ADN n’est répertorié dans le fichier national. Par contre, ce que je peux vous dire c’est qu’il y a une sorte de marque sur son bras correspondant à un tatouage au henné, il faut une loupe, mais j’ai pu déchiffrer deux lettres : un D et un H.
- En êtes-vous sûr ?
- Oui, ça m’a tout l’air d’être ça, qu’en pensez-vous ?
- Je ne sais pas encore, que veulent dire ces lettres ? Là est la question ! Une peine de cœur ? Cette enquête me paraît difficile !
- Vous avez raison, Lauren, c’est compliqué et d’autant plus sans la tête !
Bertrand était un type curieux, il ne parlait pas beaucoup et n’aimait pas la vie en société. Avec sa barbe tressée et ses cheveux noirs hirsutes, il faisait penser à un personnage tout droit sorti d’un film fantastique. Il parlait longtemps avec ses cadavres, les rassurant à chaque acte chirurgical.
Il fumait la pipe, même à la morgue, malgré l’interdiction et avait une passion pour les papillons qu’il collectionnait et accrochait au mur. Le seul ami qu’il avait était son collègue Norbert, aussi bizarre que lui…
Dans son travail, il était très méticuleux et perspicace. Ses analyses et autopsies étaient parfaites, contrairement à chez lui où régnait un énorme bazar ! Le problème, c’est qu’il fallait le laisser tranquille et attendre sagement qu’il vous appelle au risque de ne pas avoir les résultats d’autopsie complets. Ce qui rendait chèvre exaspérait les enquêteurs et Durant. Bertrand en riait doucement… Lauren, elle, savait le prendre et obtenait tout ce qu’elle voulait de lui.
Lauren se demanda ce que les deux lettres pouvaient bien signifier, elle les nota dans son carnet.
D et H :
Initiale d’un nom d’une personne ?
Ou ?
Puis, elle continua à chercher dans le fichier des personnes disparues. Elle en pointa deux autres qui avaient des similitudes avec le cadavre acéphale.
Un du nom de Daniel Lespinal : même taille et pratiquement même poids, inscrit sur un registre de l’état civil de Gennevilliers de transgenres, disparu depuis plus de deux ans et demi, et une autre jeune femme, Evelyne Bouquet, même taille, mais ne pesant que 48 kg, disparue il y a dix-neuf mois. Elle avait été opérée et était devenue M. Evan Bouquet. Lauren remarqua que sur chacun des deux dossiers était noté : fréquente la boite « Au square ». Les deux affaires ont été classées.
Lauren décida d’appeler la mère de Daniel.
- Mon fils, capitaine Green, est parti depuis trois ans maintenant…
- Pardonnez-moi, mais pourquoi dites-vous parti ? N’avait-il pas disparu ?
- Oui exactement. Je dis « parti », car je pense qu’il est toujours vivant ! Il n’ose pas ou il ne veut pas revenir tout simplement…
- Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? Avez-vous eu un signe de sa part ? C’est bien vous qui avez signalé sa disparition, n’est-ce pas ?
- Oui c’est moi, mais au bout de deux ans de recherche acharnées, j’ai décidé d’arrêter. J’ai averti l’enquêteur chargé de l’affaire qu’il était sûrement parti très loin, car j’avais reçu une carte postale du Brésil. Il n’y avait rien sur la carte, mais je suis sûre que c’était lui ! Quand il était petit, il faisait beaucoup de fautes d’orthographe alors lorsqu’il était en voyage scolaire ou en colo, il m’envoyait des cartes postales, sans rien noter dessus ! Et puis, je voulais le laisser vivre heureux…
- Quand est-ce que vous avez reçu cette carte ?
- Il y a presque six mois maintenant.
- Bien. Excusez-moi, mais puis-je vous demander s’il avait fait son opération avant sa disparition ?
- Ah, mais bien sûr, madame ! Daniel s’appelait Danièle ! J’ai perdu deux fois mon enfant, une première fois j’ai perdu ma fille, puis mon fils ! Ça a été terrible. Je ne m’en suis jamais vraiment remise.
- Puis-je vous demander s’il sortait dans une boîte dénommée « Le Square »
- Je ne sais pas, pourquoi ?
- C’est juste noté sur son dossier.
Lauren comprit que Mme Lespinal pleurait. Elle n’insista pas plus et la remercia gentiment en rangeant son signalement dans son dossier.
Machinalement, elle mit son stylo à la bouche et appela le seul numéro inscrit sur le dossier de M. Bouquet. Elle ne savait pas à qui elle s’adressait. Lauren était étonnée par ce dossier incomplet…
- Allô, capitaine Green à l’appareil, excusez-moi de vous déranger, mais votre numéro de téléphone est inscrit dans le dossier de Monsieur Bouquet. Pourriez-vous décliner votre identité s’il vous plaît ?
- Euh, oui, bien entendu, je suis son amie d’enfance, je m’appelle Anne Delcourt, nous étions au collège ensemble.
- Et étiez-vous restées amis ?
- Oui, nous étions comme deux sœurs.
- Vous dites deux sœurs ? Pourriez-vous me raconter s’il vous plaît ?
Lauren apprit qu’Evelyne avait toujours voulu être un garçon.
– Elle me le disait souvent, qu’elle était sûre que la nature s’était trompée… Elle avait dû se battre contre l’administration pour obtenir sa nouvelle identité. De plus, elle avait dû faire face toute son enfance au manque d’amour et encaisser les moqueries incessantes dues à son allure masculine. Evelyne était orpheline. Elle a été baladée d’orphelinat en familles d’accueil pratiquement toute son enfance. Lorsqu’elle eut 18 ans, elle fut opérée et ce fut une délivrance pour elle !
Intriguée Lauren lui demanda :
- Vous rappelez-vous le nom de son chirurgien ?
- Euh… Oui, je crois que c’était un nom comme Serin…
- Voulez-vous dire Serran peut-être ?
- Oui ! Exactement, docteur Serran ! Elle l’aimait beaucoup !
- Je vous remercie de votre aide !
Evelyne devenue Evan avait toujours été amoureuse de son amie. Anne et lui se voyaient régulièrement jusqu’au jour où il lui avoua son amour impossible. Devant son insistance, Anne l’avait ensuite évité. Ce qui ne l’empêcha pas de ne pas se décourager. Il lui envoyait pour ses anniversaires et Noël de beaux cadeaux accompagnés de belles cartes de vœux. Evan avait travaillé dans un petit supermarché jusqu’à sa disparition. Son supérieur hiérarchique n’avait pas compris son départ soudain. Evan était quelqu’un de très sérieux et avait l’air épanoui. Alors, au bout de quelques jours, inquiet, il avait signalé sa disparition aux autorités. Anne l’avait cherché aussi, longtemps, mais en vain. Elle en avait déduit qu’il avait enfin compris et qu’il était allé refaire sa vie ailleurs, faisant table rase de sa vie passée. Elle ressentit beaucoup de culpabilité et de tristesse. Avant de prendre congé, Lauren lui demanda :
- Encore une question ; pourriez-vous me dire si Evan fréquentait la boîte de nuit « Le Square »?
- Oui, beaucoup, j’y suis même allée avec elle plusieurs fois.
- Vous aurait-elle parlé de quelque chose de bizarre dans cette boite?
- Euh, comment dire, tout le monde est hyper space là-bas !
- OK, je vois, je vous remercie.
- Je vous en prie, donnez-moi des nouvelles si jamais vous la, enfin vous le retrouvez.
- Je n’y manquerai pas.
Il était déjà tard, Lauren rentra chez elle pensive, elle ne savait pas où cette enquête allait la mener, elle réfléchissait tout en marchant. Il faisait bon en ce début de soirée, le soleil commençait à se coucher dans un lit rose-orangé, lui procurant un sentiment mélancolique.
Lauren avait été touchée par la détresse de ces transsexuels et de leurs proches, surtout par les pleurs silencieux de la mère de Daniel. Soudain, elle eut envie de parler à sa mère qu’elle avait perdue alors qu’elle n’avait que 12 ans. Elle décida de faire un détour par le cimetière où elle reposait. Lauren longea l’allée des cyprès jusqu’à sa tombe :
- Oh Maman, si tu savais comme tu me manques ! Je sais que ça fait très longtemps que je ne suis pas venue te voir… Excuse-moi. Les enquêtes sont parfois si sordides ! Sais-tu que je suis amoureuse ? Enfin vraiment amoureuse cette fois-ci ! Si, je te jure ! Nous devons nous marier ! Sauf que nous avons été obligés de repousser la date à cause du boulot… Bon je sais, c’est idiot de parler à une pierre tombale mais, tant pis ça me fait du bien et je suis sûre que tu dois veiller sur moi de là-haut !
Lauren se retourna, elle avait entendu un léger froissement comme si quelqu’un l’observait, mais ce n’était que le vent qui caressait les feuilles du cyprès. Elle rentra chez elle quelque peu apaisée, mais toujours mélancolique. Sith l’attendait, il avait préparé le repas en écoutant un album de Miles Davis.
- My Sweety ! How are you ? Ouh, toi tu as l’air d’avoir le moral au fond des chaussures !
Lauren rit :
- On dit au fond des chaussettes !
- Ah oui ! Eh bien moi je trouve qu’au fond des chaussures, c’est plus marrant !
- Oui d’accord, nous dirons ça dorénavant !
Lauren monta fouiller dans son armoire et redescendit avec un tas de fringues excentriques.
- Dis-moi, ça te dirait de sortir en boîte ce soir ?
- En semaine, my Sweety, pas trop ! Je n’ai plus vingt ans ! Mais explique-moi ce que tu as en tête ! répond-il en voyant le grand sourire de Lauren et les habits étalés sur le sofa.
- Eh bien, j’avais l’intention de nous déguiser un peu et d’aller faire un tour au « Square ». C’est une boite transgenre où deux disparus avaient l’habitude d’aller… Nous pourrions ainsi nous renseigner un peu !
- Dans ce cas, Sweety, tu sais bien que je te suivrai au bout du monde et même si je dois être accoutré avec ce genre de choses ! répondit-il en riant.
Sith avait le don de lui rendre le sourire… Ils mangèrent en discutant de l’affaire en cours. Vers 23 h Lauren et Sith, habillés pour la circonstance, étaient prêts !
- Attends Sweety, que je t’admire, même déguisée en homme t’es belle !
- Et toi…
Sith lui coupa la parole :
- Ouh non, ne dis rien please, je me sens vraiment ridicule comme ça !
Lauren éclata de rire !
Il fallait descendre quelques marches en béton cirées pour arriver dans la grande salle envahie d’un brouillard à l’odeur de fraise des machines à fumée du « Square ». Un groupe de hard-rock jouait du « Deep Purple » et du « Heavy-Metal ». Les bassistes portaient des collants léopards et de hauts talons, ce qui fit sourire Lauren. Ils regardaient autour d’eux et n’en revenaient pas de ce qu’ils voyaient.
Dans cette boite de nuit sulfureuse, tous les genres étaient réunis ! Homosexuels, transgenres, inter-sexués chevronnés, un vrai défilé d’excentriques ! Tout le monde avait l’air de passer du bon temps !
Ils en restèrent bouche-bée. Lauren et Sith posèrent de manière informelle des questions à quelques habitués, mais personne ne se rappelait ni de Daniel, ni d’Evan…
- Oh, tu sais beauté, ici personne ne divulgue son vrai nom. Pourquoi cherches-tu ce fameux Evan ?
- Je le kiffe grave ! mais je n’ai pas de nouvelles… dit-elle avec une moue un peu disjonctée comme si elle était hyper amoureuse !
- Moi, je suis libre si tu veux, on passe derrière quand tu veux !
- Je te remercie, mais c’est lui que je veux !
Au milieu de la nuit, Lauren et Sith rentrèrent en taxi. Ils s’étaient bien amusés dans ce monde où tous les tabous avaient volé en éclats. Malheureusement, ils n’avaient récolté aucun renseignement.
Le lendemain matin, lorsqu’ils arrivèrent à la P.J., encore un peu endormis, leurs cafés fumant dans leurs mains, une surprise les attendait : Lauren avait reçu une orchidée blanche. Elle se demanda de qui cela pouvait bien venir. Elle s’adressa à l’agent d’accueil :
– Pfeuff ! C’est quoi ce bazar encore ! Qui vous a remis cette fleur ?
- Un mec de chez Floraplus. Il l’a déposé il y a à peine deux minutes !
Lauren et Sith se regardèrent. Sith dit en rigolant.
- Allez, encore un de tes admirateurs !
- Non, je ne crois pas, regarde ce qu’il y a écrit sur la carte !
A la lecture, Sith devient sérieux.
« On bascule si vite dans le néant… »
- Comme tu dis, c’est quoi encore ce bazar ?
- Je ne sais pas ! Regarde, la personne a écrit cette phrase sur une carte de jeu ! Un 6 de cœur. Bon, j’emmène le tout direct au labo au cas où et je file chez « Floraplus » voir s’ils se rappellent qui leur a passé la commande.
Lauren traversa la rue et entra chez le fleuriste.
– Bonjour, Green de la PJ, pourriez-vous m’indiquer qui vous a pris cette orchidée blanche ? demanda-elle en leur montrant la photo sur son smartphone.
– Euh, oui ça me dit quelque chose, attendez, je crois que c’était hier soir vers 19 h15, au moment de la fermeture. Je vérifie sur mon registre. Effectivement, c’est bien ça, c’était un eurasien, difficile de donner un âge, je dirais tout juste la vingtaine peut-être.
– Il vous a réglé comment ?
– En espèces.
– Evidemment ! Bien, avez-vous une caméra de surveillance ?
– Non, j’en ai une pour l’extérieur, c’est tout, désolé.
- Puis-je la voir ?
- Oui, bien sûr, venez.
Lauren visionna la vidéo, la qualité était médiocre, on pouvait quand même distinguer un homme pas très grand et plutôt frêle entrer chez le fleuriste, on ne voyait pas son visage. Il était entré et sorti de manière à ce qu’on ne le voie que de dos. Cela voulait dire qu’il savait comment était positionné l’objectif.
Lauren retourna au bureau.
- Alors Sweety, t’ont-ils appris quelque chose ?
- Non, pas grand-chose, mais c’est une piste. D’après le fleuriste, il serait de type eurasien, une vingtaine d’années, il a payé en espèce… J’ai vu la vidéo, on ne le voyait que de dos. Le fleuriste m’en a donné une copie que je vais passer à Florian. Je ne me souviens pas avoir arrêté un eurasien … En tout cas, je sais que le six de cœur est une carte de transition. Elle évoque le souvenir et les conséquences des événements passés dans le quotidien. Ces messages ont sûrement un lien avec une affaire, mais laquelle ? Peut-être, celle que je traite depuis hier ?!
- Oui, c’est fort possible, my Sweety ! Durant vient de m’affecter sur une autre enquête. À priori une histoire de tentative de vol dans une entreprise de logiciel de protection d’entreprise. Faut que j’y aille, désolé, on ne va pas pouvoir manger ensemble ce midi.
- Ce n’est pas grave, j’ai du boulot par-dessus la tête ! On se voit plus tard !
- Oui c’est le cas de le dire Sweety !
Lauren rit de bon cœur, décidément, elle adorait ses blagues nulles et douteuses.
Elle regarda ses mails, espérant avoir les résultats complets des scientifiques. L Un provenait du ministère de l’intérieur : elle l’ouvrit machinalement. Il y avait souvent des circulaires, Lauren détestait lire ce genre de loi, bien que cela fasse partie de son boulot, elle avait horreur des amendements qui n’en finissaient pas et aurait préféré des synthèses,.
- Allez encore une circulaire du ministère ! Pfeuff, je n’ai pas envie de lire ce genre de truc ce matin… Jetons-y un coup d’œil ! Je le regarderai de plus près plus tard… Il faut que je sache au moins de quoi ça parle !
Le mail relatait un amendement visant à pouvoir considérer comme probatoire les données issues d’objets connectés dans le cadre d’une enquête judiciaire, au titre de l’accusation ou de la défense… Lauren lut en travers et allait fermer la pièce jointe, quand elle fut surprise par une drôle de phrase qui s’était glissée en plein milieu de l’avenant :
« La peau fripée, l’allure vulgaire… Il fait suite à la loi du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation et à l’affaire américaine dite du « bracelet Fitbit », bracelet connecté qui avait permis la résolution d’un meurtre en mai 2017. »
Lauren continua à lire en travers pour voir s’il y avait encore d’autres mots, effectivement plus bas, elle releva :
« Le sourire sardonique de nombreux objets connectés permettent en effet de connaître la géolocalisation… »
Puis plus rien à part la fin de l’article.
Lauren crut d’abord à une erreur et demanda à Durant de lui transférer le mail concernant la même procédure.
- J’ai un truc qui cloche dans mon mail, sur cette référence qu’on vient de recevoir !
- Oh Lauren, mais vous progressez ! Vous lisez les mails du ministère !
- Ah très drôle ! C’est vrai qu’on n’a que ça à faire !
- Ne vous énervez pas, je vous transfère ça de suite, répondit Durant avec humour.
Le mail que Durant avait reçu ne contenait pas d’erreur…
- Bon, eh bien c’était pour moi ! D’abord l’orchidée et ça maintenant ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Comment a-t-on fait pour pirater un mail du ministère ?
Lauren imprima les deux feuillets et les glissa dans son nouveau dossier. Son téléphone sonna, c’était le légiste qui voulait lui annoncer le résultat des analyses :
- Lauren, l’analyse ne décèle pas de drogue, par contre la victime était sous immunodépresseur, ce qu’on utilise entre autre chez les personnes qui ont reçu une greffe.
- Ce qui pourrait confirmer qu’elle avait été opérée !
- Très juste Lauren.
- Je vous remercie Bertrand.
- Je vous en prie.
Lauren se demandait pour quelle raison l’assassin l’avait décapitée. Était-ce pour ne pas voir que la victime fut une femme ? Pour la punir ? La punir de quoi ? De vouloir devenir un homme ? Un corps sans tête est aveugle. Cela pouvait vouloir dire pas mal de choses ou rien du tout ! Peut-être était-ce tout simplement pour qu’on ne puisse pas l’identifier ?
Il fallait trouver la bonne raison et elle aurait l’assassin ! Les réflexions de Lauren fusaient dans tous les sens ! Elle les nota dans un coin de sa tête. Lauren aimait les énigmes, mais cette fois-ci, elles étaient particulièrement effrayantes !
En bas, contre le mur froid, à l’abri des regards, quelqu’un la guettait…